C'est ainsi qu'Adamsberg cherchait des idées : il les attendait,
tout simplement. Quand l'une d'elles venait surnager sous ses yeux, tel
un poisson mort remontant sur la crête des eaux, il la ramassait
et l'examinait, voir s'il avait besoin de cet article en ce moment, voir
si ça présentait de l'intérêt. Adamsberg ne
réfléchissait jamais, il se contentait de rêver, puis
de trier la récolte, comme on voit ces pêcheurs à l'épuisette
fouiller d'une main lourde dans le fond de leur filet, cherchant des doigts
la crevette au milieu des cailloux, des algues, des coquilles et du sable.
Il y avait pas mal de cailloux et d'algues dans les pensées d'Adamsberg
et il n'était pas rare qu'il s'y emmêlât. Il devait
beaucoup jeter, beaucoup éliminer. Il avait conscience que son esprit
lui servait un conglomérat confus de pensées inégales
et que cela ne fonctionnait pas forcément de même pour tous
les autres hommes. Il avait remarqué qu'entre ses pensées
et celle de son adjoint Danglard existait la même différence
qu'entre ce fond d'épuisette plein de fatras et l'étal ordonné
d'un poissonnier. Qu'est-ce qu'il y pouvait? Au bout de compte, il finissait
par en sortir quelque chose, si on voulait bien attendre. C'était
ainsi qu'Adamsberg utilisait son cerveau, comme une vaste mer nourricière
en qui l'on a placé sa confiance mais qu'on a depuis longtemps renoncé
à domestiquer.
L'Homme à l'envers, chap.11,
p81-82. Viviane Hamy, 1999.